Je me réveille, les reins et les pieds en compote :
cow-boy sans bottes, aujourd’hui ! Faire les Gras ou non, je comprends
maintenant ce que ça implique. Quelques pétards explosent au loin, les oiseaux
s’envolent en criant. Les plumes noires des boas de Flore et Amandine trainent partout
sur mon carrelage, avec une grande plume rouge oubliée.
11h15 : j’attends que la pluie passe. Le mimosa balance
ses lourdes branches fleuries et trempées dans le vent. Il fait sombre comme à
6 heures du soir. Plus un chant d’oiseau.
Du coup, je rate les Noces, les officielles et celles du
groupe de Françoise. Sac de costumes à la main, comme beaucoup, je marche du
Rosmeur jusqu’aux réservoirs bleus où on a rendez-vous à 14h.
Très belle lumière, beaucoup de traces de la veille. Réveils
pâteux, pliés en deux dans des coffres de voiture embuées, première clope dans
l’air humide, quelle heure il peut être ? pendant que les enfants
emmitouflés ramassent délicatement de minuscules faux billets entre les pavés.
Demi-déguisements parce qu’on a froid, parce qu’on n’a pas assez dormi. Louis
13 en doudoune, au loin. Les rues mouillées sont pointillées de confetti, les
pieds traînent, les voix partent en vrille, les mousquetaires zigzaguent et ça
pisse dans le port en chantant de nouveau. Ou ça ne s’est pas arrêté ?
Je retrouve Isabelle devant l’horloge où les gens commencent
à se rassembler. Café en terrasse au Lamparo, en regardant la pluie tomber sur
le port. Les costumes recommencent à passer, chiens compris.
On se rhabille en cow-girls à côté de la voiture bleue et on
monte les escaliers pour rencontrer la Noce des Gras version charcutiers :
un groupe de 30-40 personnes, toutes déguisées hommes/femmes et vice versa. Accueil
chaleureux et drôle par Françoise (aka monsieur le Maire), par la mère de la
mariée (oh, je suis toute émotionnée ! vous voulez un bonbon ? (une
rondelle de saucisson)) et par la mariée elle-même, une tête de plus que moi,
en grande robe en satin, ongles faits, pieds nus dans ses sandales de noce,
chapeau, voile et bouquet de salami et saucisses à la main. On sera les
cousines d’Amérique, arrivées juste à temps à cheval. Nos chevaux sont morts
d’ailleurs, d’où notre retard ce matin. Chacun invente sa propre histoire, à
fond dans son personnage, nous expliquent-ils.
On prend notre place dans le défilé stationné près de la
Criée, entre le char pastiche d’“On a marché sur la lune” avec deux Tintins,
Milou à roulettes, dix petits martiens et une fanfare jaune, en croisant des
russes toutes fourrures dehors et un char sous-marin avec crevettes et moules à
taille humaine.
Départ quelques heures plus tard, sous la pluie, dans le vent
et la bonne humeur, pour faire le tour de la ville à deux à l’heure, en valsant
régulièrement sur la Java Bleue, alternée avec Nini Peau de Chien et une
chanson écrite spécialement pour l’occasion. Le plaisir intense de ce groupe aussi
chaleureux que généreux est communicatif, on rit beaucoup et on parle en
marchant. A un moment, notre groupe perd le reste du défilé, mais des gens offrent
café et brioche dans leur garage. Partout sur le parcours, des gens déguisés ou
non se reconnaissent et se tombent dans les bras. Le vent retourne les
parapluies, on gèle, surtout les hommes aux jambes nues, la mère de la mariée
perd une bague (un diamant !) tellement le froid rétrécit ses doigts, on
n’en peut plus mais heureusement, c’est l’endroit de se disloquer.
Le groupe
nous entraîne au café du terminus des cars, son point de ralliement, où on
continue, un peu plus au chaud, de discuter autour de leur passion pour les
Gras et de leur préparation. Puis ils nous emmènent encore partager le pain-pâté
offert par le comité aux défilants, et on les quitte heureuses d’avoir pu vivre
ce défilé de l’intérieur : c’est inexplicable et intense, ce plaisir de
changer de vie, d’identité, de comportement grâce aux déguisements.
C’est le
cœur du théâtre, aussi, je réalise tout à coup. Donc de ce que j’ai commencé à
écrire.
Karin Serres
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