mardi 19 février 2013

Douarnenez, sixième jour


Réveil dans le matin bleu. Le temps que je fasse cuire mes œufs, les coqs chantent et le jour se lève. Les nuits sont courtes, quand même. Mais je ressens déjà l’éphémère des Gras (de la vie ?), ce soir on brûle le Den Paolig et c’est déjà fini de se costumer (seul son groupe le fera). 
On dit Douarneniste et Capiste, je ne savais pas. 
Je mange mon pain grillé, puis Isabelle m’emmène à mi-chemin de chez lui retrouver Gérard Mével, adjoint à la culture d’Esquibien, qui va me faire visiter le Cap Sizun toute la journée.

Dès les premiers kilomètres sous la pluie, au chaud dans sa Merco, on parle théâtre : il dirige une troupe qui travaille au Théâtre Georges Madec et monte plein de spectacles chaque année. L’an dernier, ils ont joué “Le terrain synthétique”, avec des ados, et cette année, “Ramassage Polaire” de Françoise Pillet, mon amie ! Les coïncidences sont drôles.
Gérard Mével a une vie passionnante, voyageuse et à travers de nombreux métiers. Après avoir rencontré des pêcheurs de bar, sur le port d’Audierne, regardé l’épave du Petit Corse, rencontré le groupe théâtre enfants et ses animatrices et visité son super théâtre bleu, il m’emmène chez lui, face à la mer (quelle vue !!!), boire un café, puis on repart découvrir la pointe du Van et le minuscule port du Vorlenn. Il fait un temps de chie, on s'incline à 90° en sortant de la voiture, mes lunettes sont trempées, mais quelle beauté !

On déjeune au Bar Breton où Françoise nous raconte sa triple vie d’infirmière à terre, de patronne de restaurant et de personnel soignant embarquée sur le bateau de la SNSM. Puis retour chez Gérard où arrive son ami Marc, marin et plongeur, lui aussi, inventeur d’épaves, photographe, vidéaste sous-marin, et l’après-midi passe sans qu’on s’en rende compte tellement ils ont d’histoires à partager. On parle des danders de la plongée et de la navigation, mais aussi du plaisir de voyager. De l’apnée, de la chance de vivre là où on est né, de ce qu’on passe sans le voir et de l’importance de la transmission des paysages qu’on habite mais où on ne fait que passer. Gérard me prête des extraits d’un livre de JP Abraham qui a vécu dans le phare d’Ar-Men et me raccompagne à Douarnenez. 

Bref passage au gîte, normalement, mais une famille belge débarque, trempée : mère polonaise, père anglais, deux petits garçons blonds épuisés, ils cherchent à joindre Anaïg pour se loger cette nuit mais ils n’ont pas son portable, alors je l’appelle, je les héberge en attendant qu’elle arrive et leur offre du thé. Soulagés d’être au chaud et au sec, les deux petits blonds se roulent par terre, lèchent le lino, mettent de la monnaie dans leur bouche et imitent les chats. Quand Anaïg les emmène s’installer en dessous, je me dépêche de sortir, la nuit tombe presque.

Et je promène mon chien invisible sur ma route côtière maintenant préférée, dans l’air de plus en plus bleu et brumeux. Lhumidité floute mes lunettes, mais quel plaisir, cette route avec ses trois paysages si différents, et quel silence, l’allumage tranquille des réverbères qui rythment les courbes au-dessus de la mer.

Avec Isabelle, on retrouve les filles de TTT venues nous rejoindre pour l’incinération (quel nom !) du Den Paolig, sur le Rosmeur. En attendant, on boit un coup au Lamparo avec Morgane qui me raconte ce que c’est d’être Capiste, l’attachement à ce pays « comme un aimant », ce pays à la vie si particulière, si proche de la nature, des saisons, des éléments. Mon résumé de mes impressions lui plaît : il y a rien et c’est si beau. Puis on va manger des galettes à la crêperie du coin, mon QG, en regardant passer le cortège, bien au chaud.

Dès que les premières flammes s’élèvent, nourries d’essence, on sort dans la foule aux lampions, au-dessus du groupe des veuves et maîtresses joyeuses. Au début, c’est beau et festif. Et puis la fanfare se tait, la silhouette qui brûle devient étrangement humaine, les boulettes de papier remplissant la structure rougeoient comme des braises et toute la foule s’immobilise en silence, touchée. Je pense au Vieux Fusil, à Pompéi. Puis à un GI qui sort de la jungle après un bombardement au napalm. Puis, une fois la silhouette arrosée au tuyau, à un soldat de la premier guerre mondiale, mort debout, dans la boue des tranchées, et à l’armée de terre cuite déterrée en Chine.
Quand le tracteur repart, tirant la structure de fil de fer qui re-servira, l’année prochaine, juste habillée différemment par Rémi et son acolyte dans le plus grand mystère de leur hangar secret, je réalise que ce Den Paolig est un phénix qui renaît de ses cendres chaque année.
 Karin Serres



 

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