Réveil à 7 heures au son des cloches (3, 3, puis 40 coups au
moins), j’ai super bien dormi, vive l’air de la mer, et ça ronfle dans la
chambre d’à côté. Petit déjeuner pain-délicieux beurre salé, toujours avec
Nostalgie : “Verseaux : un contact pourrait mener à un travail ou un
contrat”. A un travail, ça c’est sûr ! J’enfourche mon vélo, bonnet
enfoncé au ras des yeux et je pédale gaillardement… à 90° de la route pourtant repérée
sur le plan : rue de la Palue au lieu de rue Poul ar Palud !
Arrivée au bord de la ville, je fais demi-tour et retrouve mon chemin dans le
jour naissant… j'arrive pile à l’heure.
8h26 : je rencontre les 4°B, avec Fanny, leur enseignante d’espagnol. La
pêche, c’est dangereux, les marins-pêcheurs qui se cassent le dos, ou se
coupent pieds et mains ne veulent pas que leurs enfants les imitent. Je raconte
d’autres métiers liés à la mer, comme ceux découverts aux Ateliers de
l’Enfer : les yeux brillent. Grandes discussions sur la pêche, toutes les
pêches, tous les produits de la mer qu’on adore manger, sur la côte espagnole,
ses différences avec celle du Finistère, et sur le théâtre, ce qu’ils y rêvent,
ce qu’ils y détestent. La parole tourne : partir ou rester ?
10h31 : je rencontre les 6°A avec Claude, leur enseignante
d’anglais. C’est cette classe qui a décoré toute la salle, et même dessiné sur
le tableau un grand “Bienvenue au Rivage, Karin Serres”. Beaucoup d’élèves
écrivent des histoires, des mangas, des livres pour leurs petits frères et des
chansons (en anglais ça sonne mieux). Sur la plage, ils et elles cherchent des
« petits cochons », ou grains de café, coquillages qui portent
bonheur. La douleur d’une piqûre de vive dure le temps d’une marée. On parle
objets flottés et leurs histoires, verre poli et coquillages ramassés,
bouteilles à la mer aussi, sur lesquelles on finit la discussion : et si
on en lançait, nous aussi ? J’écrirais le texte avec la classe, on le
traduirait en plusieurs langues dans les différents cours, il faudrait étudier
les courants pour savoir où les lancer pour qu’elles aillent loin…
Déjeuner à la cantine (cabillaud-beurre blanc, pommes de
terre) en discutant des différentes cultures alimentaires (on vend les bulots
décortiqués en Angleterre !) puis je file faire l’écrivain public au CDI,
avec deux clients : une lettre de remerciements à un professeur remplaçant
et une lettre de revendications pour les toilettes, adressée au proviseur qui
vient nous photographier en pleine rédaction, sans le savoir.
13h30 : je reprends mon vélo (que le proviseur a gentiment rangé
dans le placard du secrétariat), pour retourner dans le centre.
16h-17h : Plein les yeux de beauté, tout simplement.
Marché sur la plage, ramassé des bouts de verre polis pour apporter en salle
117 et regardé sans fin les Etocs au loin et leurs étranges immeubles de pierre
en pensant aux phoques qui y vivent.
Assise au soleil sur les rochers, je
prends des notes éparpillés sur ma pièce (qulequ’un meurt, on découvre ses
poches pleines de bouts de verre poli : pour qui les ramassait-il ?),
en attendant le retour des pêcheurs côtiers. Toute en noir, phoque synthétique,
j’écoute le roulis des vagues, les appels des oiseaux affamés et le grondement
des chalutiers au loin. Le ballet va bientôt commencer.
17h15 : Les chalutiers sont
plus dispersés qu’hier, il fait si beau encore ! mais la même
effervescence, les mêmes caisses plus ou moins pleines, les poissons encore
vivants qui se débattent, un immense truc noir, qu’est-ce que c’est ? et
l’immense bouche si moche des lottes moustachues. Une fois le dernier chalutier
reparti, je marche jusqu’au port de plaisance dans la lumière dorée, jusqu’aux
tas de filets comme des bijoux de déguisement et des barbes ou perruques rouges
de géants. Quand je marche, mes pensées s’éclaircissent, les bribes s’ordonnent,
se simplifient. Je repars dans l’autre sens, en dépassant la Criée, jusqu’aux
deux bancs dans le tournant de la rue qui sont en fait pile face au soleil
couchant…
…que j’attends. Un immense calme. L’eau frise, transparente. Les
lampadaires de la pointe s’allument et le soleil disparaît dans la bande de
nuages opaques qui nappe l’horizon : ce soir, pas de rayon vert.
Je
repars, à pied toujours, pour trouver où dîner. La crêperie Ar Vag ouvre à
19h30, j’attends devant sa porte et suis la première à entrer dans cet espace
incroyable (impossible à deviner de la rue) couvert de décorations de Noël,
blanches ou bleues, du sol au plafond ! Les guirlandes clignotent ou
gouttent en circuit continu autour de plus de quinze bonshommes de Neige
luminescents de toutes tailles, et dans les rares espaces sans décoration
neigeuse, ce sont des affiches de stations de ski ! Ma soupe de poissons
scintille d’éclats bleus. Au bout d’un moment, je demande :
-
Ar Vag, ça veut dire La neige ?
Le patron rit : Non, le
bateau.
-
Mais alors, cette décoration hallucinante ?
-
Oh, on en change toutes les saisons : à
Pâques, l’été, à la rentrée des classes, Halloween…
C’est donc un fan de déguisement… de
son restaurant.
Deux enfants entrent avec leurs grands-parents, la petite fille
à lunettes veut du sirop de menthe. Tu n’aimeras pas, fait sa grand-mère. Si, j’ai déjà essayé et j'aime ça, répond-elle crânement.
Karin Serres