mardi 26 février 2013

Le Guilvinec, deuxième jour


Réveil à 7 heures au son des cloches (3, 3, puis 40 coups au moins), j’ai super bien dormi, vive l’air de la mer, et ça ronfle dans la chambre d’à côté. Petit déjeuner pain-délicieux beurre salé, toujours avec Nostalgie : “Verseaux : un contact pourrait mener à un travail ou un contrat”. A un travail, ça c’est sûr ! J’enfourche mon vélo, bonnet enfoncé au ras des yeux et je pédale gaillardement… à 90° de la route pourtant repérée sur le plan : rue de la Palue au lieu de rue Poul ar Palud ! Arrivée au bord de la ville, je fais demi-tour et retrouve mon chemin dans le jour naissant… j'arrive pile à l’heure.

8h26 : je rencontre les 4°B, avec Fanny, leur enseignante d’espagnol. La pêche, c’est dangereux, les marins-pêcheurs qui se cassent le dos, ou se coupent pieds et mains ne veulent pas que leurs enfants les imitent. Je raconte d’autres métiers liés à la mer, comme ceux découverts aux Ateliers de l’Enfer : les yeux brillent. Grandes discussions sur la pêche, toutes les pêches, tous les produits de la mer qu’on adore manger, sur la côte espagnole, ses différences avec celle du Finistère, et sur le théâtre, ce qu’ils y rêvent, ce qu’ils y détestent. La parole tourne : partir ou rester ?
10h31 : je rencontre les 6°A avec Claude, leur enseignante d’anglais. C’est cette classe qui a décoré toute la salle, et même dessiné sur le tableau un grand “Bienvenue au Rivage, Karin Serres”. Beaucoup d’élèves écrivent des histoires, des mangas, des livres pour leurs petits frères et des chansons (en anglais ça sonne mieux). Sur la plage, ils et elles cherchent des « petits cochons », ou grains de café, coquillages qui portent bonheur. La douleur d’une piqûre de vive dure le temps d’une marée. On parle objets flottés et leurs histoires, verre poli et coquillages ramassés, bouteilles à la mer aussi, sur lesquelles on finit la discussion : et si on en lançait, nous aussi ? J’écrirais le texte avec la classe, on le traduirait en plusieurs langues dans les différents cours, il faudrait étudier les courants pour savoir où les lancer pour qu’elles aillent loin…
Déjeuner à la cantine (cabillaud-beurre blanc, pommes de terre) en discutant des différentes cultures alimentaires (on vend les bulots décortiqués en Angleterre !) puis je file faire l’écrivain public au CDI, avec deux clients : une lettre de remerciements à un professeur remplaçant et une lettre de revendications pour les toilettes, adressée au proviseur qui vient nous photographier en pleine rédaction, sans le savoir.
13h30 : je reprends mon vélo (que le proviseur a gentiment rangé dans le placard du secrétariat), pour retourner dans le centre.

16h-17h : Plein les yeux de beauté, tout simplement. Marché sur la plage, ramassé des bouts de verre polis pour apporter en salle 117 et regardé sans fin les Etocs au loin et leurs étranges immeubles de pierre en pensant aux phoques qui y vivent. 
Assise au soleil sur les rochers, je prends des notes éparpillés sur ma pièce (qulequ’un meurt, on découvre ses poches pleines de bouts de verre poli : pour qui les ramassait-il ?), en attendant le retour des pêcheurs côtiers. Toute en noir, phoque synthétique, j’écoute le roulis des vagues, les appels des oiseaux affamés et le grondement des chalutiers au loin. Le ballet va bientôt commencer.
17h15 : Les chalutiers sont plus dispersés qu’hier, il fait si beau encore ! mais la même effervescence, les mêmes caisses plus ou moins pleines, les poissons encore vivants qui se débattent, un immense truc noir, qu’est-ce que c’est ? et l’immense bouche si moche des lottes moustachues. Une fois le dernier chalutier reparti, je marche jusqu’au port de plaisance dans la lumière dorée, jusqu’aux tas de filets comme des bijoux de déguisement et des barbes ou perruques rouges de géants. Quand je marche, mes pensées s’éclaircissent, les bribes s’ordonnent, se simplifient. Je repars dans l’autre sens, en dépassant la Criée, jusqu’aux deux bancs dans le tournant de la rue qui sont en fait pile face au soleil couchant…
…que j’attends. Un immense calme. L’eau frise, transparente. Les lampadaires de la pointe s’allument et le soleil disparaît dans la bande de nuages opaques qui nappe l’horizon : ce soir, pas de rayon vert. 
Je repars, à pied toujours, pour trouver où dîner. La crêperie Ar Vag ouvre à 19h30, j’attends devant sa porte et suis la première à entrer dans cet espace incroyable (impossible à deviner de la rue) couvert de décorations de Noël, blanches ou bleues, du sol au plafond ! Les guirlandes clignotent ou gouttent en circuit continu autour de plus de quinze bonshommes de Neige luminescents de toutes tailles, et dans les rares espaces sans décoration neigeuse, ce sont des affiches de stations de ski ! Ma soupe de poissons scintille d’éclats bleus. Au bout d’un moment, je demande :
-       Ar Vag, ça veut dire La neige ?
Le patron rit : Non, le bateau.
-       Mais alors, cette décoration hallucinante ?
-       Oh, on en change toutes les saisons : à Pâques, l’été, à la rentrée des classes, Halloween…
C’est donc un fan de déguisement… de son restaurant. 
Deux enfants entrent avec leurs grands-parents, la petite fille à lunettes veut du sirop de menthe. Tu n’aimeras pas, fait sa grand-mère. Si, j’ai déjà essayé et j'aime ça, répond-elle crânement. 

Karin Serres

Le Guilvinec, premier jour


Réveil à 7 heures au son des cloches de l’église sur la place, il fait encore nuit. Petit déjeuner de luxe au son de radio Nostalgie : “Verseaux, avec la lune en Gémeaux, c’est une journée pleine de créativité, l’imagination est au pouvoir !” Pour mon premier jour de rentrée scolaire, Flore vient gentiment me chercher en voiture et m’accompagne toute la matinée.

8h26 : première classe, la 6°C, avec Marie, leur enseignante de français, dans la salle 117 entièrement redécorée en “salle-plage”. J’apprends ce que sont les vacations (avant), que les sardines se pêchent la nuit, qu’il y a des phoques sur les Etocs, la différence entre pêche hauturière et pêche côtière, et je découvre le rapport très fort que les enfants d’ici entretiennent avec le monde maritime professionnel, personnel comme de loisirs. La mer est-elle un monde de patience ? 
Le mot de la fin, qui m’est adressé, à propos de l’écriture :  “Moi je trouve ça courageux, parce que si tout le monde baisse les bras, qui le fera ?”
10h31 : Après l’intercours rapide dans la salle des profs, deuxième classe, la 5°C, avec Virginie, leur enseignante de français. Nous parlons de Colza, qu’ils ont lu. Ici, la mer empêche qu’il y ait de la neige, c’est énervant. Ils sont nombreux à détester se promener le dimanche avec leurs parents au bord de la mer qu’ils peuvent voir de leur chambre. Quelle musique écouter au bord de la mer ? Aucune, on écoute la mer. J’apprends ce qu’est la bouée tractée et l’élévateur, dans le port, qu’à la Torche le sable est très fin, et le grand plaisir de “sauter à la digue”, l’été.
Déjeuner à la cantine (spaghetti bolognaise), sur un plateau représentant la carte du Finistère. Avec les enseignantes, nous discutons du projet, des premières rencontres, de ma proposition d’“écrivaine publique” qu’on mettra en place dès demain au CDI, et d’autres endroits, comme le cap Finis Terra en Espagne…

13h30 : je bois un café au bar de La Marine. Au Comptoir de la mer, je trouve une carte postale du phare de la Vieille (deux occultations, plus une toutes les 12 secondes) et un super fascicule sur les signaux maritimes et leur signification.

17h : je retrouve Robert, du CLC, sur la terrasse au-dessus de la Criée, pour le retour des chalutiers côtiers. C’est magnifique : ils surgissent de la brume lumineuse à l’horizon, en armada, entourés de nuages de mouettes, dans le vacarme des moteurs et les odeurs de gasoil, pour venir se garer contre le quai à toute vitesse, décharger leur pêche du jour dans les caisses en plastique empilées sur un, deux ou trois chariots poussés par des plus âgés, et repartent vers leur mouillage à donf pour laisser place à un autre chalutier d’une autre couleur avec une autre pile de caisses pleines de poisson et de langoustines…etc. Une heure fascinante. Sur la table d’orientation, en bout de terrasse : Bilbao tout droit au Nord, Terre-Neuve à l’est. Puis on descend visiter la Criée : mareyeurs en bottes et blouses blanches, acheteurs dans la petite salle fermée, sous le tableau de chiffres rouges qui défilent.
18h et quelques : Robert me fait rencontrer son ami Dominique, patron du Gwenvidik. On descend sur le pont, oups, par une échelle puis le pied sur un bout, équilibristes, on parle un peu puis Dominique nous suit au café pour 5 minutes qui dureront plus d’une heure de discussion passionnante autour de la pêche d’aujourd’hui et de demain, dont je découvre le monde de tensions et d’enjeux cruciaux. Un patron-pêcheur, c’est un chef d’entreprise, pas un artisan, et son métier couvre énormément de domaines les plus variés. Un bon pêcheur, c’est celui qui réfléchit en regardant vers l’avant, qui innove intelligemmen, comme dans tous les domaines, finalement. La nuit est tombée sur le port, chacun remonte dans sa voiture.

20h : dîner à la Bisquine, seul resto ouvert ce soir, avec Amélie, Amandine et Elodie venues exprès de Quimper. Le prix du homard nous donne le fou-rire mais on se régale de poisson et on partage des super desserts en parlant jusqu'à la fermeture de tous ces films qui nous font merveilleusement pleurer.

Karin Serres

Le Guilvinec, arrivée nocturne


Après un dîner agréable, à Quimper, avec Flore et Dominique, dans le seul restaurant ouvert, nous faisons la route de nuit en discutant : renard écrasé, bateaux endormis.
23h : je finis de m’installer dans la chambre « de la Vieille », à Cap Ouest. Rien à voir avec mon âge, paraît-il, c’est juste le nom d’un phare (dans le raz de Sein) comme toutes les autres chambres. Demain, ils me trouveront une petite table, la seule chose qui me manque pour travailler.

Karin Serres

vendredi 22 février 2013

"Et toi face à la mer tu penses à quoi?"

Merci à Anne-Marie d'avoir partagé avec nous ces belles photos!!
Espérons que ça donne l'idée à d'autres de poster leurs images sur le blog du Far Ouest...



jeudi 21 février 2013

Karin est au Guilvinec depuis lundi.
Quelque chose me dit que le ballet des chalutiers et langoustiniers qui rentrent au port chaque soir à 17h pétantes la fascine un peu...
En tout cas cela fait plusieurs jours qu'elle s'y rend, le bonnet vissé sur la tête, pour observer la ronde des pêcheurs du Guilvinec...

Elodie
Très Tôt Théâtre


mardi 19 février 2013

Douarnenez, huitième jour


Réveil dans le jour un peu plus levé qu’hier, car il fait grand beau. 
Je fais ma valise, je mange mes derniers œufs, je fais le ménage et je descends sur le Rosmeur voir l’Antigone Z de plus près. 
Grande carcasse rouge rouillée, avec un autre nom : “Ice lady”, en relief. 

A la terrasse du tabac, je raconte à nouveau Far Ouest à Claude Legouill, correspondant du Télégramme, qui tripe sur les mêmes points que Carole, hier : que ça revienne se jouer là où ça se sera écrit, dans quelques mois, et que les gens puissent participer à leur façon par collectage à cette grande question : à quoi tu penses, face à la mer ? partir ou rester ? fin du monde ou début de toutes les possibilités ? et qu’est-ce qu’il y a dessous ? et penses-tu ou ressens-tu ?…etc.

Faire mes valises, plier draps, torchons et serviettes, tout nettoyer, ne rien oublier, boucler ma valise et partir pour revenir m’installer ailleurs, tout près, dans à peine deux jours, pour continuer d’écrire ce qui est né en écho à ce que j’ai vécu à Douarnenez, en sachant qu'avant la fin de l'année, ce que je suis en train d'écrire deviendra vivant, sur scène, grâce au travail du Théâtre du Rivage qui prendra le relais, le tout coordonné par Très Tôt Théâtre, et que ce spectacle reviendra se jouer partout où il se sera nourri et travaillé. Quel super projet !
Karin Serres

Douarnenez, septième jour


Réveil à 8 heures, après avoir rêvé de guerres, normal, vu les images sur lesquelles je me suis couchée. Les petits Belges couinent à l’étage en-dessous, le jour se lève et l’âne brait déjà. Woaoh, il va peut-être faire beau ? Morgane disait hier qu’ils promettaient une belle fin de semaine. Les petits pleurent et tapent dans les portes maintenant, je mange mon œuf-pain beurré en repensant aux histoires de phares que Gérard Mével m’a racontées hier.

Isabelle vient me chercher : cap sur les Ateliers de l’Enfer, où on forme (de façon très renommée) des adultes à la charpenterie marine, à la voilerie et à la sellerie nautique. D’abord l’atelier charpente marine, guidés par Alain, l’un des formateurs. Ça sent puissant le bois, tous les élèves ont des casques anti-son aux oreilles rouges et des outils en main autour de deux coques très différentes en construction. Apprendre les gestes, éduquer l’œil et la main. 20 élèves par session, dont deux filles environ, qui ont du mal à trouver du travail ensuite, le milieu préfère les hommes. Le travail, c’est rien de fixe, toujours des missions. Encore un parallèle avec le théâtre. La carotte pour les élèves, c’est la semaine de navigation dans le bateau qu’ils ont construit toute l’année. Alain est passionné. Derrière l’atelier, il nous montre les bateaux récupérés qu’ils copient ensuite. Pas tous navigants, pourtant il faudrait, c’est le seul moyen de comprendre comment le bois joue, vit et se déforme. 

Puis on visite la section sellerie et la section voilerie, leur grande salle de couture au plancher à hauteur de la table des machines, pour ne pas froisser les matériaux synthétiques. Profs tout aussi passionnés, élèves en chaussons, passions de régatiers, et discussion avec Elise qui vit sur un bateau dans l’Aber Wrach, tanne ses voiles là-bas, les pieds rouges, avec toute une bande d’amoureux des bateaux, que j’irai peut-être voir quand je serai à Plouguerneau. Tous ces jeunes gens et jeunes filles qui choisissent un métier si lié à la mer…

A midi, on déjeune au Bigorneau amoureux, au-dessus des vagues, au milieu de ma route préférée, avec Lisa, une des collègues d’Isabelle. Elle vient d’en face, de Plozévet, elle a découvert la beauté de son pays en arrivant à Douarnenez. On parle mer et voyage, mer et partir, mer et rester. Et de l’été. Il fait magnifiquement beau, le soleil nous chauffe par la porte ouverte. Pourquoi tous ces couples qui déjeunent face à face puis marchent sur la plage, main dans la main ? Ah oui, c’est la Saint Valentin !

Fin d’après midi : je retrouve Carole sur le Rosmeur, sous sa casquette de correspondante d’Ouest-France, cette fois, pour lui raconter Far Ouest, maintenant qu’elle est sortie des Gras.  Tous les cafés sont fermés (ils récupèrent !) alors on va sur le Port Rhû, au café jaune où on boit super un thé vert pour se réchauffer. Sur la route, Carole me raconte l’Antigone Z, ce gros cargo rouge qui m’intriguait derrière la capitainerie. Il doit repartir demain pour le chantier de démolition à Brest après 8 mois sans solde payée pour les marins panaméens. Son nom a été noirci, il n’existe plus, le prix de la ferraille paiera juste son remorquage.
On parle des Gras mais aussi de la vie ici, pour les jeunes et les moins jeunes, du rapport avec les touristes, l’été, des plages d’ici et d’ailleurs. Puis du projet bien sûr, et de la façon dont Far Ouest va se poursuivre, pour moi ailleurs, par collectage, toujours, pour les Douarnenistes qui ont envie de s’y associer.

Dernières crêpes sur le port, retour au gîte, écriture. J’avance par bribes, par motifs, instantanés, comme un puzzle dont je n’aurais pas la photo finale mais dont je sais qu’il va finir par s’assembler.
Puis je rentre à pied sous l’immense ciel étoilé au-dessus des arbres noirs, guidée par le faisceau serré de ma petite lampe de poche. Immensité renversée. Calme et vent frais. Toujours pas de crapauds, et la nuit sent la terre mouillée.
Karin Serres