mardi 14 mai 2013

Le Guilvinec, 6° jour


Arrivée de nuit au Guil, le long des chalutiers éclairés au sodium, jusqu’au gîte, 3° étage face à la mer que j’entends rugir derrière la baie vitrée. D’ici, je vais pouvoir regarder les chalutiers rentrer au port vers 17h, parfait poste d’observation. Il y a même un transat devant la fenêtre, tourné vers le large. Ça va être trop beau demain matin, je me dis. Le port clignote rouge et vert, et toute ma chambre avec, quand je me couche et j’éteins la lumière.

25 mars 2013


J’ai fait un rêve très drôle cette nuit : j’étais dans un théâtre, je sentais un drôle de truc sur ma tête qui me tirait les cheveux alors j’allais me regarder dans le miroir d’une loges et là, je me rendais compte que j’avais une coiffure vraiment étrange : comme s’ils étaient devenus vivants, tous mes cheveux s’étaient enroulés tout seuls en spirale, en chignon mouvant, pile au sommet de mon crâne : une coiffe bigoudène faite de mes propres cheveux était en train de me pousser sur la tête !!!

vendredi 1 mars 2013

En attente de noms

Je suis plongée dans l'écriture (une vingtaine de pages), et l'absence de noms pour mes personnages m'énerve. Je pense d'abord les appeler provisoirement "fille" et "garçon". Mais quand je ferai un "remplacer" général, une fois leurs noms trouvés, ça risque d'être une catastrophe, car tous les "fille" et "garçon" seront remplacés, même dans d'autres phrases, ou bien il faudra que je les remplace un par un…
Idée : comment ça se dit en breton ? A partir de maintenant, mes deux personnages s'appellent provisoirement "merc'h" et "paotr".

Karin Serres

mardi 26 février 2013

Le Guilvinec, cinquième jour


Me réveiller avec les cloches de 7h, écouter l’horoscope de Nostalgie, fermer les portes en levant bien la poignée, pédaler sur la route du collège dans le jour à peine levé, ranger mon vélo dans le placard du secrétariat, bavarder tranquillement avec les enseignants dans leur salle avant la sonnerie, monter l’escalier jusqu’à la salle 117, boire le petit café de 10h21, observer le retour des chalutiers sur la terrasse de la Criée… étonnant comme on prend vite de nouvelles habitudes, déjà terminées pour ce mois-ci.

8h26 : je rencontre les 6°D, avec Roseline, leur enseignante de sports. Ils voudraient du théâtre d’horreur et fantastique, avec des zombies auxquels on coupe les têtes dans des flots de ketchup, des vampires, de la peur, de la souffrance mais aussi de l’humour, avec des squelettes par exemple, et de la beauté, comme la neige qui tombe. Ils détestent quand c’est ennuyant. On pourrait ajouter de la danse aussi, des tsunamis, et que le héros meure à la fin, mais avec un coup de théâtre (ce serait son frère jumeau), et du rap, et un bateau sur scène… 
Flore nous rejoint et participe à la discussion. J’apprends ce que sont les pousse-pieds, à la pêche et la dégustation si brève, ou bien la pêche à la mitraillette et “chez Kermounette”. On parle de tout ce qu’ils construisent dans le sable, l’été, des châteaux, des tunnels, des barrages. De l’autre côté de la mer, parfois, il y a un trou : on tombe. Et on finit la conversation sur les vipères coupées en 3 par un vélo…
10h31 : je rencontre les 4°C, avec Armelle, leur enseignante de français. Le souci du théâtre pour eux tourne beaucoup autour de la question de l’âge : pas de spectacle compatible avec des CP, par exemple. Sinon, il faut un minimum d’action, des sentiments, de l’émotion, et de la musique (du rap), pendant 1h30 (durée idéale). Discussion très sensorielle, autour des produits de la mer (trop appétissants !), des sons de l’océan, des endroits exceptionnels, ils sont nombreux à pêcher et passent leur temps dans l’eau, l’été. De l’autre côté de la mer, ça s’arrête, on tombe, ou bien il y a de grandes cascades, et des gens qui se posent les mêmes questions que nous, mais en américain. L’été, on se retrouve sur la plage, on fait des feux où griller des marshmallows ou on marche seul. On finit la conversation sur les sensations encore : les textures du sable, des rochers, la chaleur du soleil dans notre dos, le le vent qui souffle, le fracas des vagues sur la digue…
Au déjeuner (potée au chou, crevettes d’élevage mais d’ici), on parle avec des enseignants non natifs d’ici de leurs étonnements d’arrivants, de leurs plaisirs aussi, de l’enseignement. 

Puis je rentre faire mes valises, et Yannick, le régisseur du CLC, m’emmène en voiture à Quimper en me racontant ses sorties en kayak de rivière ou de mer, et ses voyages dans les tribus primitives du monde entier et .
16h14 : départ du TGV. 16h28 : arrêt en pleine voie pour panne de matériel. Une demi-heure plus tard, on repart. Est-ce à cause du retard ? A Rennes, le train se vide presque en entier.
De cette deuxième semaine de résidence dans le Finistère (ma première au Guilvinec), je rentre chargée d’impressions fortes et d’une foule de détails sensoriels et humains, en tout genre, qui vont bientôt prendre forme, se rapprocher les uns des autres, pour bâtir des dialogues plus longs, des moments continus. Le tout, c’est de ne rien brusquer, de laisser le temps à toutes ces pièces de puzzle de trouver leurs proches. 
Pour le moment, dans ma tête, il y a un garçon et une fille (sans nom encore) qui se connaissent depuis tout petits, se croisent pendant des années au bord de la mer, jusqu’à quel âge ? et vont vivre des vies pleines de cahots et de retournements, en se courant après. Il a les yeux jaunes et vient d’ailleurs, elle est née au bord de l’océan et va devenir astrophysicienne.
Karin Serres      (à suivre…)

Le Guilvinec, quatrième jour


Réveil à 7 heures, dur de me lever, la propriétaire vient gentiment vérifier que j’ai allumé, oui oui. Je rate l’horoscope, peu importe. Vélo dans le matin frais, ça réveille.

8h26 : Je rencontre les 5°A, avec Estelle, leur enseignante d’Histoire-Géo, animatrice du club théâtre aussi. Que faut-il mettre dans une bonne pièce de théâtre ? Doit-elle être inventée (9 voix) ou réaliste (19) ? Se passer maintenant (3) ou à une autre époque (21) ? On part sur le futur intergalactique de la mer et du Guilvinec en particulier, ça fuse ! puis la parole tourne : quelle est la nourriture idéale face à la mer ? Du salé au sucré, c’est très précis, tout le monde acquiesce et salive. Notamment aux kwinns, les crêpes épaisses de Marikette, qui met la plaquette (de beurre). Que pensez-vous qu’il y a de l’autre côté de la mer ? Pour beaucoup, l’Amérique, sinon l’eau infinie. Et face à l’horizon, partir ou rester ? Quand c’est la tempête, l’écume mousse et couvre les rues, on dirait qu’il neige.
10h31 : je rencontre les 5°B, avec  Mme Boët, leur enseignante d’Arts plastiques, dans sa salle toute neuve. Une bonne pièce de théâtre dit être drôle, avec de la musique liée aux situations (= du violon quand c’est triste), une histoire claire, des effets spéciaux, l’accent breton, peut-être, du breton même (non, on comprend pas. / Si !) Déchaînement contre les touristes, qui prennent les tortillons de sable des couteaux pour des crottes de mouettes et créent des bouchons quand il pleut. Cette classe semble très proche des animaux. La correspondante d’Ouest-France vient prendre des notes pour un futur article. De l’autre côté de la mer, il y a l’Amérique mais aussi d’autres mondes parallèles, leur avenir, l’amour de leur vie… On finit sur les liens entre le théâtre et les marins, science des cordages et superstitions partagées.
Au déjeuner (poulet petits-pois), nouvelle discussion avec les enseignantes, les différences d’ambiance entre les classes, les âges de ces enfants qu’ils voient devenir adolescents. En vidant mon plateau, je remarque toutes les rondelles de pain évidées sur ceux de mes jeunes voisins. Ecrivaine publique au CDI, pas de demande : j’admire tous ces lecteurs silencieux, immobiles, sourcils froncés, totalement transportés ailleurs par leur lecture.

15h : rendez-vous au CLC avec Joseph Coïc, l’auteur du livre sur la flotille du Guilvinec et Michel Le Roy, l’animateur du groupe Pregomp brezhoneg (parlons breton) qui se réunit un jeudi sur deux, pour le plaisir de discuter. J’ai de la chance, aujourd’hui ils fêtent les Gras, tout le monde ou presque sera là. Nous parlons noms de bateaux, de zones de pêche, vitalité et spécificités de la langue bretonne, et “startijenn”, cette énergie d’ici qui veut dire aussi joie de vivre.
16h : Joseph et Michel m’entraînent dans une grande salle aux tables en O derrière lesquelles une trentaine d’hommes et de femmes sont déjà installés avec assiette et verre, et corbeilles de ce qui semble être une brioche tranchée (le pain doux). La porte franchie, interdit de parler français ! Michel m’installe à côté de lui, à présider avec quelques autres, agite sa clochette (tout le monde se tait) et me présente en breton (je suis une skrivériou). Tout le monde me sourit et commente en breton, moi je souris, muette. Ils chantent à capella et on boit une première tournée de blanquette de Limoux-kir coloré. Ça parle par petits groupes. Mon voisin Corentin enfreint la règle pour me raconter plein de choses, puis quelques dames apportent des plats : d’immenses tranches de jambon épais agrémentées de quelques cornichons. Il n’est même pas 17h. “Tu laisseras le gras”, chuchote Michel. Je me sers, même de cornichons, bois le vin rouge et mange le pain doux qui vont avec : c’est très bon. Normalement, c’est le chôten qu’on mange, une demi-tête de cochon, “Tu peux regarder dans les charcuteries”, me dit Michel. Et Corentin frémit en se rappelant la sublime odeur grillée de ce délice traditionnel. 
De temps en temps, un homme se lève pour raconter une histoire, il mime les gestes, fait toutes les voix, le public rit. Ou bien on commente un article de journal, et on chante. Je chante même « Ar brilli braz » avec eux (ils me trouvent les paroles), une chanson sur la pêche au maquereau, typique du Guil. J’attrape quelques mots au vol comme j’aime faire : chonch (penser), arzul, bugueul… 
Le soleil tourne, je recule ma chaise. Re-histoire, re-jambon, re-chanson, je baigne dans le breton. Daniel et Michel m’expliquent les Gwerziou, ces chansons à couplets sans fin qui racontent des drames. Et ces deux heures étonnantes et chaleureuses s’achèvent dans un moment hyper fort : toute la salle, debout, pour chanter à capella l’hymne Bro Gozh (Oh breizh ma bro, ô Bretagne mon pays), dont la musique est la même que celle de l’hymne gallois. Quelle émotion !

19h35 : seule dans la véranda du Poisson d’Avril, je regarde la nuit tomber sur la mer haute et les feux verts et rouge du port clignoter à côté de la Criée toute éclairée. Je repense à ce que j’ai appris : baragouiner vient des soldats bretons de l’armée de Napoléon, qui réclamaient du pain (bara) et du vin (gwin) et que personne ne comprenait… Je mange le premier Saint-Pierre de ma vie, excellent, cuit pile comme il faut. Parce que le chef s’appelle Pierre ? Ou parce que sa cuisine aussi donne sur la mer, juste derrière ses pianos ? Sur chaque table, ces veilleuses électriques que la propriétaire de Cap Ouest avait gentiment disposées tout le long de mon chemin mercredi soir, de la porte au haut de l’escalier, pour quand je rentrerais.
20h35 : je lis les poèmes illustrés des 6°B.
Karin Serres

Le Guilvinec, troisième jour


Réveil à 8 heures (quelle grasse matt !). “Verseaux : après un début de matinée plutôt grinçant, vous pourriez tomber sur une excellente affaire”, puis “Total eclipse of the heart” et du pain frais (à cette heure, la boulangerie est ouverte). 
Deuxième thé dans ma chambre, j’écris avant la visite de la Criée réservée hier. Un premier titre arrive tout à coup :“Février perché”, suivi un peu plus tard par “Dix mois de Février”, puis par l’impression qu’aucun des deux ne restera. Dans une revue achetée pour le train, j’ai trouvé une photo de mes deux héros enfants, on dirait, en short éponge, 3 et 5 ans peut-être ?, sourire aux lèvres, devant la porte ouverte d’une maison. Haliotika appelle : faute de participants suffisants, la visite de la Criée est annulée. Dommage, mais je peux continuer à écrire. 

Vers midi, je sors marcher. Je passe par chez Scarlette Le Corre acheter des photos de tempête et du caviar d’algues. Le photographe remarque l’écusson sur la manche : vous êtes de Coney Island ? Son fils y habite, il étudie l’astrophysique à l’université de New-York. Tilt : voilà ce que mon héroïne voudra faire, elle aussi, et pourquoi elle partira. En ramassant du verre poli sur la plage, je repense aux poches pleines : on peut se noyer à cause de ça. Alors le héros a 7 vies, pour frôler la mort mais chaque fois en réchapper. Et il a les yeux jaunes, comme ceux d'un guépard, elle lui dira. Mais comment s’appellent-ils ? Aucun prénom en vue, ça m’énerve.

Délicieux déjeuner au Poisson d’Avril, avec Amélie, face à la mer : comment faire du théâtre vraiment populaire, et résister aux courant ambiants pour défendre ce qui nous tient à cœur ? Le garçon nous laisse sa terrasse à disposition quand il ferme, pour qu’on puisse continuer à travailler au soleil dans ce « bureau idéal ». A 16h30, j’entraîne Amélie sur la terrasse de la Criée pour assister au retour des chalutiers dont je lui ai parlé avec enthousiasme, et on passe une nouvelle heure dans le blizzard ensoleillé à partager ce moment rare.

20h : Robert passe me chercher pour aller dîner chez lui, avec sa femme Birgita qui est suédoise d’origine. Super dîner, lieu jaune au four, profiterolles maison, ils me racontent leur découverte (il y a 13 ans) puis leur amour pour le Guil. 
Demain  après-midi, au CLC, je rencontrerai peut-être le groupe bretonnant et/ou Joseph Coïc dont ils me prêtent “La flotille du Guilvinec”, 150 ans d’histoire de pêche, archi-documenté, que je rentre lire dans ma chambre : passionnant !
Karin Serres